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Politiste et directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, Bruno Tertrais est auteur de nombreux ouvrages sur la sécurité internationale. Son dernier livre s’intitule Pax atomica ? Théorie, pratique et limites de la dissuasion (Odile Jacob, 208 p., 20,90 €).
On ne le sait pas toujours, mais la culture nucléaire militaire française a été forgée par des hommes formés dans le cadre de l’OTAN, à commencer par les généraux Gallois et Beauffre, qui comptent au nombre des pères de la force de frappe. Des notions volontiers présentées comme spécifiques à la France telles que la menace de « dommages inacceptables » envers un agresseur sont en fait américaines. La notion de dissuasion « minimale », ce que nous appelons « stricte suffisance » – un arsenal maintenu au niveau juste nécessaire – est une invention britannique, tout comme l’idée selon laquelle la dissuasion fonctionne « du faible au fort ».
Il n’y a que trois concepts spécifiquement français. Tout d’abord « l’ultime avertissement », qui date des années Pompidou et a été consolidé sous Mitterrand. Il s’agissait d’éviter le « tout ou rien », en envisageant, si nécessaire, une attaque limitée sur des objectifs militaires. La spécificité française consiste à dire qu’il n’y aurait qu’une seule frappe avant la riposte massive. Est également spécifiquement française l’idée qui consiste à envisager, depuis le milieu des années 1990, toutes les armes comme « stratégiques », quelles que soient leurs caractéristiques. Enfin, nous parlons de mise en cause des « intérêts vitaux », pour qualifier notre seuil d’emploi. Ces deux dernières idées sont aujourd’hui reprises outre-Manche et outre-Atlantique, car les doctrines s’influencent les unes les autres.
Le débat sur la dissuasion et son éthique commence dès 1942, au sein de l’équipe de Robert Oppenheimer [physicien américain considéré comme l’inventeur de la bombe atomique], lorsque l’arme nucléaire n’était encore qu’un projet. Est-il moral d’envisager des destructions apocalyptiques pour éviter une guerre ? Doit-on menacer des populations civiles à cette fin ?
A ces questions, les pays qui se sont dotés de la bombe ne donnent pas tous la même réponse. Les Etats-Unis et la France estiment, pour des raisons morales, juridiques et stratégiques, que l’on ne doit pas menacer les populations civiles en tant que telles. Les Etats-Unis ont pris cette position dès les années 1970, alors que la France ne l’a fait qu’en 2014, en précisant ne menacer que des centres de pouvoir. Longtemps, dans le discours français, on a parlé d’« armes de non-emploi », mais cette expression était ambiguë, car, pour que la dissuasion fonctionne, il faut que l’adversaire soit convaincu qu’elle pourrait être utilisée.
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